Représentation maintenue Cour du Puy, dimanche 21 juillet.
Durée du spectacle : 1h40
Cette pièce puissante, dernière œuvre de Federico García Lorca, met en scène huit femmes, dans un petit village andalou, au début du XXe siècle. À la mort de son mari, Bernarda Alba impose à ses cinq filles un deuil de huit ans. Mais autour de Pepe le Romano, un beau garçon du village, les convoitises et trahisons vont bientôt se cristalliser… Dans ce huit clos à la sensibilité magnifique, Lorca critique le poids et la violence des traditions d’une Espagne verrouillée de l’intérieur. À travers trois générations de femmes emmurées, il interroge l’essence même de la tyrannie, intime et politique. Tout en louant la force du désir et de la beauté – seules voies possibles d’émancipation. Yves Beaunesne signe une mise en scène épurée, réglée au millimètre de ce chef d’œuvre de Lorca, rythmée par les chants populaires espagnols entonnés par les comédiennes. Dynamitant le tragique par l’humour et la joie, cette nouvelle mise en scène de La Maison de Bernarda Alba est une ode à l’espérance.
Note d'intention
La chèvre n’a pas dit son dernier mot
Il a suffi qu’un théâtre de guignol ambulant passe un jour par le village natal de Lorca pour que sa vocation soit signée et qu’il se mette à fabriquer un théâtre de marionnettes. Il avait 7 ans. Plus tard, il fondera La Barraca, troupe universitaire qui jouera le répertoire classique du Siècle d’Or dans les villages d’Espagne et fera communier le poète avec son peuple, un peuple fervent, souvent analphabète.
Federico García Lorca est né en 1898 dans la Vega de Grenade, en Andalousie, période au cours de laquelle la région connaît une modernisation rapide, traversée de conflits sociaux violents. Dans la famille Lorca, les hommes sont catholiques, tout en penchant pour la république ; les femmes sont libérales et anticléricales. La grand-mère Isabelle lit Zorrilla, le grand poète romantique andalou, Dumas, mais surtout le républicain Victor Hugo dont la famille possède les œuvres complètes.
Federico, aîné de sa fratrie, est physiquement malhabile, affligé d’une jambe plus courte que l’autre. Nul ne le verra jamais courir, et ce handicap se révélera mortel à l’heure où il aurait pu fuir. Car la vie de Lorca a croisé l’histoire politique de l’Espagne. Pour le meilleur et pour le pire, elle ne s’en séparera plus. Il est assassiné par la soldatesque fasciste à l’âge de 38 ans, le 19 août 1936.
Son œuvre part de l’ici et universel maintenant pour aller vers l’inconnu, vers l’éternelle tragédie antique, vers le drame élisabéthain, là où l’on sent circuler le sang des morts. C’est de son père et d’un catholicisme baroque et doloriste que Federico héritera la hantise de la mort. Et lorsqu’au ravin de Viznar où l’a conduit le peloton d’exécution, près d’une fontaine nommée Ainadamar, « la source des larmes » en arabe, les mots du Confiteor viennent à lui manquer, c’est un jeune milicien qui les soufflera à sa tête épouvantée et défaillante. « Je ne suis ni un homme, ni un poète, ni une feuille, mais un pouls blessé qui pressent l’au- delà » dira-t-il dans Le Poème double du lac Eden.
La Maison de Bernarda Alba est la dernière œuvre de Federico García Lorca. Il l’a écrite en 1936, dans la prison où l’avaient jeté les Phalangistes, deux mois avant son exécution. Jouée pour la première fois en 1945 au Teatro Avenida de Buenos Aires, elle ne fut présentée en Espagne qu’en janvier 1964. Si cette œuvre dramatique a été longtemps censurée par le pouvoir franquiste, c’est que García Lorca y critique le poids des traditions en même temps qu’il annonce le long repli d’une Espagne bâillonnée, prisonnière de ses croyances et de ses superstitions. Et si sa Maison de Bernarda Alba n’est pas directement une pièce politique, elle dénonce la politique d’une société étouffante et fanatique qui ne tolère aucun manquement aux règles – règles reposant sur une interprétation rigoriste des préceptes de la religion catholique et nourrie de l’obscurantisme le plus épais.
Lorca développe une écriture de l’incarnation, sa pensée part du sol et de l’attachement à cette campagne et aux travaux des champs qu’il connaît si bien, pour s’élever à la hauteur des mythes dont sont faites nos vies. Pour lui, il n’était pas possible d’avoir une position politique sans assise dans un sol durable sans avoir les pieds sur terre. « La terre est le probable paradis perdu » (Derniers vers). Quand on a perdu la possibilité de décrire le monde où l’on vit, on est frappé par l’aphasie. Voire par la folie. Lorca nous parle de sa vison de l’apocalypse, non pas pour dire que tout va s’effondrer, ce n’était pas un collapsionniste avant l’heure, mais pour affirmer qu’il n’y aura pas d’autre monde, et, du même coup, qu’il faut recommencer une histoire positive. Les marges de manœuvre ont toujours existé, à commencer par les forces du désir et de la beauté qui marchent par les rues. Son apocalypse est positive, elle permet de se débarrasser des faux espoirs, il y a plein d’histoires où les perdants gagnent à la fin. Lorca s’est battu 38 ans contre la mort de l’espérance.
Bien que faisant la part belle aux femmes, qui y sont les victimes d’un enfermement physique et moral qu’elles ont paradoxalement mis en place elles-mêmes, cette œuvre n’en dénonce pas moins le rôle secondaire que la femme occupe dans une Espagne rurale du début du XXe siècle étrangement proche de nous. Car à travers trois générations de femmes emmurées, ce texte interroge l’essence même de la tyrannie, intime et politique. Toute la pièce se concentre sur la façon dont le désir s’impose et conduit à la transgression et au sacrifice. Car ces jeunes femmes n’auraient pas pu rester huit ans à battre des bras en l’air au bord d’un précipice. Il fallait sauter et conférer à l’enfer une beauté salvatrice.
Avant de devenir poète et homme de théâtre, Federico García Lorca a d’abord été porté par le désir d’être musicien. Doté d’une formation musicale classique et nourri par la musique populaire, il ne cessa de chérir la musique espagnole traditionnelle, recueillant d’anciennes chansons populaires pour les harmoniser et les intégrer à ses pièces de théâtre en des chants venant rythmer le développement du drame, proches d’un chœur antique. Mon fidèle Camille Rocailleux ira dans ce sens, en situant sa composition interprétée par les comédiennes au croisement de notre époque et de celle de Lorca, dans la tendresse joyeuse qui fut celle du poète pour les Gitans, les Maures, les Juifs. Et Marion Bernède en proposera une nouvelle traduction.
Les situations sans solution sont résolues par les enfants, les amoureux et les fous. Lorca a donné à Adela, jeune, amoureuse et folle, de trimballer ses troupeaux de rage. Son corps parcourt les couloirs en feu et incendie celles qu’elle croise, elle ouvre les prisons des rêves de ses soeurs, qui s’échappent par orages. Ainsi, le monde, traversé par la foudre des révoltes singulières, ne pourra être tout à fait ténébreux. Face au loup, la chèvre n’a pas dit son dernier mot.
« Dans tous les pays, la mort est une fin. Quand elle arrive, on tire les rideaux. Mais pas en Espagne. » Federico García Lorca
Yves Beaunesne. Juin 2022.
Distribution
- Mise en scène : Yves Beaunesne
- Texte français et dramaturgie : Marion Bernède
- Avec : Iris Aguettant, Manika Auxire, Johanna Bonnet-Cortès, Héloïse Cholley, Milena Csergo, Margaux Dupré, Fabienne Lucchetti, Cécile Maudet
- Violoncelle : Eveline Causse
- Scénographie : Damien Caille-Perret
- Musique : Camille Rocailleux
- Costumes : Jean-Daniel Vuillermoz
- Coiffures et maquillages : Oriane Boutry
- Assistanat à la mise en scène : Pauline Buffet
- Chorégraphie : Rosabel Huguet
- Cheffe de chant : Eveline Causse
Presse
Par un miracle qu’il faut saluer, La Maison de Bernarda Alba, dernier spectacle de son ultime programmation, prouve que lorsqu’on confie le plateau de la salle Richelieu presque exclusivement à des femmes, le résultat peut être bel et bien extraordinaire. Le Monde
*
Production Compagnie de la Chose Incertaine, Compagnie de la Première Seconde
Avec la participation artistique du JTN, le soutien du fonds d’insertion professionnelle de l’ENSATT et de la Spedidam
Coproduction ScénOgraph - SCIN Art et Création / Art en Territoire
Avec le soutien de la SPEDIDAM
Remerciements Isabelle Hermann, Christian Mahéas, Jérémy Rigaux, Myriam Boyer, Catherine Salviat, Alexiane Torres, Eglantine Latil, Lina El Arabi, Joël Hourbeigt, Baptiste Bussy, Gauthier Delvert, Marie Ouguergouz
© Guy Delahaye
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