Avec La Bobine de Ruhmkorff, du nom de ce générateur électrique capable d’obtenir des tensions particulièrement élevées, Pierre Meunier prolonge sa méditation autour du sexe, de l’amour, du rapport à l’autre engagée avec Sexamor.
Comme toujours, en effet, c’est à partir de frottements avec la matière et de confrontations avec des machines de son invention qu’il s’empare du sujet et le travaille (au corps), cette fois dans une forme en solo, légère et rêveuse.
Avec une écriture qui n’appartient qu’à lui, Pierre Meunier invite les spectateurs à un vagabondage à la fois cru et poétique, drôle et grave, tendre toujours, sur les sentiers de la redécouverte de la splendeur du monde et de l’énigme qui le constitue. Il part ainsi en quête des lois de l’attraction, de l’attirance entre les pôles opposés, du courant qui passe ou ne passe pas, avec son regard étonné́, à la fois buté et grand ouvert, drôle et offert.
Laure Dautzenberg
Entretien avec Pierre Meunier
propos recueillis par Laure Dautzenberg
Laure Dautzenberg : Pourquoi avez-vous choisi ce titre, La Bobine de Ruhmkorff ?
Pierre Meunier : Ce qui m’intéressait, c’était de creuser les parallèles entre les lois du désir et les lois physiques de l’attraction, de l’induction. Au cours de mes recherches, je suis tombé sur ce bonhomme, Ruhmkorff, qui a inventé une bobine permettant de transformer une énergie de faible intensité en décharge atteignant 60 000 volts. Ça m’a paru lumineux ! J’ai vu là la puissance fulgurante du désir, avec ses décharges électrisantes et la force de bouleversement libérée lors de la décharge...
L. D. : Dans Sexamor, vous abordiez déjà la thématique sexuelle mais à deux, avec Nadège Prugnard. Pourquoi cette envie de solo ?
P. M. : Beaucoup de textes écrits pour Sexamor ou auparavant autour du même thème n’ont pas trouvé de place dans le spectacle, j’ai donc eu envie de poursuivre cette interrogation. Quant au solo, c’est autre chose de voir portées ces questions par un homme seul plutôt que par un couple. Cette fois, j’explore la rêverie solitaire (mais active !) d’un homme traversé par des visions, des fantasmes, des hypothèses. Rien ni personne ne vient le contrarier, il n’y a pas l’autre pour réagir. Cela donne un spectacle qui explore différentes tonalités, différentes compositions.
L. D. : Dans ce spectacle comme dans les précédents, vous convoquez la physique concrète...
P. M. : J’aime m’entourer de matières en mouvement, de machines. J’ai d’ailleurs retrouvé une bobine de Ruhmkorff de la fin du XIXe siècle, magnifique, en cuivre et laiton, dont je me sers dans le spectacle... Leur particularité, c’est qu’elles peuvent dérailler, se mettre à fonctionner de manière imprévue. Cela m’oblige à rester complètement éveillé, à mobiliser mon corps et mon esprit afin de pouvoir faire face à tout ce qui peut surgir, d’intégrer les aléas qui peuvent aller jusqu’à la panne et l’accident.
Et puis ces machines permettent de dépasser l’illustration limitée d’un propos. L’imaginaire peut y voir des correspondances mais elles sont suffisamment riches pour résonner avec d’autres dimensions. Il y a toujours ce conditionnel : « Ce pourrait être ça » ; cela peut le représenter, avoir un rapport, mais ça l’excède aussi. Ça permet de respirer. Cela permet à la fois d’être pile dans le propos et de l’élargir. Comme le sexe, qui fait vibrer toutes les couches de la conscience et de la perception du monde.
Et puis la poétique peut alors apparaître. C’est l’éternel vœu secret : que la dimension poétique surgisse sans qu’on l’ait mise explicitement en œuvre.
L. D. : Votre spectacle explore la question du sexe et du désir, mais vous comparez également le rapport entre le spectateur et l’acteur au rapport amoureux...
P. M. : Tout à fait. Nos corps se font face. C’est très organique, cette situation, il y a un coude-à-coude, une masse respirante, des odeurs, un public immobile, aux aguets, ouvert, poreux et devant lui un corps seul, qui s’expose, propose et tente un partage autour de quelque chose qu’on aurait en commun. Sans cette hypothèse d’un « en commun », il n’y aurait pas de spectacle. Mon but est de réveiller, d’ébranler, de réalimenter, de redonner du mouvement et de l’appétit pour cet « en commun ». Je suis toujours très inquiet devant les forces de figement qui nous affectent et nous guettent sans répit. Au fond, mon désir constant est de provoquer du mouvement chez le spectateur, de faire résonner des endroits inhabituels qu’on déserte la plupart du temps. Il s’agit toujours de lutter contre l’étroitesse et la calcification de l’imaginaire et de la pensée.
« Je pense donc je suis », insuffisant pour Pierre Meunier pour qui l’homme n’est jamais à la hauteur de ses espérances et que les savantes divagations physiques donc métaphysiques ne cessent de hanter. De spectacle en spectacle aux titres évocateurs L’Homme de plein vent, Le Chant du ressort, Au milieu du désordre... il se frotte à la matière - la lourde – la fonte, le fer, la pierre ; défie les lois de la pesanteur «l’homme qui tombe s’est-il trompé de sens ? » ; tente de réconcilier le haut et le bas, de s’envoler, bondit, résiste à la chute. Un univers singulier, grave et léger, insolent, plein d’humour et de vraie tendresse pour la condition humaine ; une écriture poétique qui nous évoque Francis Ponge ou Raymond Devos.
Aujourd’hui, il poursuit sa réflexion engagée sur l’un de ses derniers spectacles, Sexamor. Une forme solo, cette fois, légère, nomade, rêveuse et questionnante autour du sexe, de l’amour, de l’autre... les lois d’attraction des corps, les tensions, les vibrations, les aimants, le courant électrique, les étincelles, les champs magnétiques...
Distribution
- texte, jeu et mise en scène : Pierre Meunier
- Collaboration artistique : Marguerite Bordat
Production La Belle Meunière
Avec le soutien du Ministère de la Culture -DRAC Auvergne et du Conseil général de l’Allier
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