Andromaque revisitée
À Versailles, la tragédienne Anne Delbée a ouvert la 23e édition du festival le Mois Molière avec sa mise en scène de la tragédie de Racine.
"Pourquoi remonter Andromaque ? Je l’ai mise en scène des dizaines de fois, j’ai joué le rôle titre que je transmets aujourd’hui.
Atteindre enfin LA mise en scène à laquelle je n’ai cessé de travailler au détour de chaque vers du poète de vingt huit ans qui osa jeter ce brûlot en plein XVIIème siècles. Cette pièce, essentielle car elle fait entendre Jean Racine comme le poète ultime d’aujourd’hui.
Le plus contemporain qui nous hurle avec toute l’insolence de la jeunesse l’urgence de nous redresser, de vivre debout, et de sauver telle Andromaque cette humanité en déshérence engluée dans la dérision, l’imbécillité consentie et le mépris de l’autre au service des modes.
Enfin la Tragédie ! Cela devient rare sur les plateaux de théâtre. La Tragédie, le témoignage incandescent de l’être humain qui se dresse même solitaire pour dire non à la Barbarie. Car la Tragédie n’est pas triste. Au contraire elle est l’acte lumineux d’une renaissance.
Je vous convie à ce grand rendez-vous, avec elle, Andromaque, la sublime, la résistante, celle qui prise en otage ne faiblit pas, ne se dérobe pas, celle qui pied à pied arrache son enfant à la mort au prise d’elle même.
Vers énigmatiques !
« Et pour ce reste enfin j’ai moi même en un jour
Sacrifié mon sang ma haine et mon amour »
Que sommes-nous prêts à faire aujourd’hui pour sauver « ce reste » de l’humanité.
Andromaque qui ose tout jusqu’à pardonner à celui qui a dévasté son pays, détruit sa civilisation et en a fait sa captive.
« Peut-on haïr sans cesse et punit-on toujours »
Le face à face terrible de la Troyenne et du Grec, Racine le met en scène avec une audace, une provocation, une sensualité peut-être jamais égalés à ce jour. Au creuset de l’amour fou, charnel et spirituel, le criminel de guerre ainsi qu’on l’appellerait aujourd’hui devient la victime expiatoire et consentante. Tandis qu’il ose célébrer ses noces impossibles avec Andromaque, il est exécuté au pied même de l’autel par une jeunesse aveugle, ivre des guerres d’hier.
« Plus barbare aujourd’hui qu’Achille et que son fils
Vous me faites pleurer mes plus grands ennemis »
Andromaque se tient solitaire, une fois de plus devant les corps massacrés, les ruines, les statues saccagées.
Il est temps pour elle de repartir avec son enfant quelque part… où les gens en paix l’accueilleront peut-être …"
Anne Delbée
"Les restes d’un mur éventré. Un mur de marbre blanc. Un plateau de cendres noires d’où émergent des sculptures à moitié renversées, décapitées. La civilisation a été détruite. La guerre a fait son œuvre.
Pyrrhus est revenu sur les lieux, Pyrrhus le fou sanguinaire, le héros pour les grecs contemple Troie.
« Je songe quelle était autrefois cette Ville
Si superbe en Remparts, en Héros si fertile,
Maîtresse de l’Asie et je regarde enfin
Quel fut le sort de Troie, et quel est son Destin »
Ils sont là de nouveau les hommes de guerre et leur captive : Andromaque et son enfant. Andromaque au centre de l’arène fumante où chacun veut se venger de la Troyenne même la jeunesse qui n’a pas connu cette guerre.
Andromaque telle une lionne qui défend son petit va résister jusqu’au bout avec ses seules armes : les mots de Jean Racine. La parole.
Le théâtre qui une fois encore se lève !
Tonitruant de hurlements mais aussi de déclarations soyeuses de l’amour.
Un jour viendra où l’on croira que le monde est mort. Mais le soir venu le Théâtre réinventera l’humanité grâce à Andromaque. Le Testament de l’humanité.
Il y a du Wagner dans Andromaque.
Il y a du Bach dans Andromaque.
Il y a du Janis Joplin dans Andromaque.
Il y a la musique à venir.
Sommes-nous au temps d’Homère dans Andromaque ?
Sommes-nous au XVIIème siècle, dans la guerre entre la France et l’Espagne ?
Sommes-nous aujourd’hui avec ces rescapés d’une guerre atroce ?
Nous parlons en tout cas la langue de Racine.
Neuf acteurs fous de Tragédie que j’ai le privilège de faire travailler. Une nouvelle génération de tragédiens, une jeunesse avide de démesure, de folies, de Racine.
Témoignage d’une transmission qui fait partie de l’histoire du théâtre."
Anne Delbée
À Versailles, la tragédienne Anne Delbée a ouvert la 23e édition du festival le Mois Molière avec sa mise en scène de la tragédie de Racine.
« Peut-on haïr sans cesse et punit-on toujours ? » Cette année, dans les grandes écuries, à Versailles, en ouverture du Mois Molière, la mise en scène par Anne Delbée d’Andromaque, la tragédie de Racine, a livré un témoignage incandescent sur la capacité – ou pas – de l’être humain à se dresser pour dire non à la barbarie, pour sauver ce qui reste de notre humanité. Le terrible face-à-face entre la veuve troyenne et le Grec Pyrrhus – que l’on qualifierait de nos jours de criminel de guerre – y atteint une sensualité bouleversante et une intensité rare. Nous n’y sommes plus seulement au temps d’Andromaque, ni même à celui de la guerre entre la France et l’Espagne, contemporaine de Racine. Nous y sommes aussi sur la scène des guerres atroces d'aujourd’hui.
L’intrigue de la tragédie de Racine est connue : Oreste aime Hermione, qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque, qui cherche à protéger son fils Astyanax tout en restant fidèle au souvenir de son mari, Hector, tué pendant la guerre de Troie. Mais, si une fois encore au terme des 1 648 alexandrins, Andromaque (incarnée par Émilie Delbée) ose tout pardonner à celui qui a dévasté son pays, détruit sa civilisation et en a fait sa captive, Pyrrhus – interprété ici par l’excellent Valentin Fruitier – porte à son paroxysme l’amour fou et le sacrifice vers lequel il marche en osant célébrer ses noces impossibles avec Andromaque. Exécuté au pied même de l’autel par un Oreste (Mickaël Winum) ivre des guerres passées, Pyrrhus, devenu une victime expiatoire et consentante, quasi christique, interroge avec efficacité la barbarie d’hier et comme celle d’aujourd’hui. Et offre une belle performance d’acteur, tout comme Laure Portier qui interprète Hermione.
Parallèlement à cette tragédie - qui sera de nouveau jouée le 22 juin -, Anne Delbée a monté, comme en miroir, Le Misanthrope de Molière, de nouveau présenté le 29 juin. Avec ces deux mises en scène, le Mois Molière confirme la qualité de sa programmation et son ambition qui est, depuis sa création, de « donner accès au plus grand nombre au spectacle et à la culture », comme le rappelle volontiers le maire (DVD) de Versailles, François de Mazières, fondateur et directeur artistique de cet événement.
Avec 360 représentations, ce festival de théâtre qui se présente volontiers comme un tour de chauffe avant Avignon, attend, cette année encore, près de 100 000 spectateurs.
Depuis plus de 20 ans, le Mois Molière voulu par le maire François de Mazière, et animé par une armée de bénévoles dirigée par la précieuse Madame Lefèvre signe le lancement de la saison des festivals. Chaque année, du 1er au 30 juin, la manifestation voit affluer les comédiens à Versailles. Pour de nombreuses compagnies, il est un tour de chauffe avant le Off d’Avignon. Rappelons que le mois Molière est une manifestation de grande dimension : + de 100 000 festivaliers, 10 compagnies professionnelles de théâtre en résidence à l’année, + de 350 représentations (théâtre, musique, cirque, danse), dont 60% en entrée libre, + de 60 lieux investis dans les 8 quartiers de la ville (Grande écurie du château, Potager du Roi, Théâtre Montansier, ancien hôpital royal, galerie des Affaires étrangères de Louis XV, parcs, places et jardins…)
Anne Delbée est une croyante et déjà une légende
En ouverture de la 23e édition du Mois Molière, le festival propose pas moins de deux créations d’Anne Delbée. La tragédienne s’est donné le défi de présenter en miroir Andromaque (les 1er, 8 et 22 juin, à 20h45) et Le Misanthrope (les 2 et 29 juin, à 20h45), deux pièces écrites à l’époque par le jeune Racine et un Molière d’âge mûr, pour séduire la même femme, Mademoiselle du Parc, actrice de la troupe de Molière.
La plupart des grands metteurs en scène classiques n’ont qu’un but, qu’un seul rêve, celui d’apporter leur contribution à l’histoire de l’oeuvre. Au sein d’une sédimentation de mises en scène successives, ils espèrent ajouter leur couche ; et que cet ajout fasse date. Ces metteurs en scène acceptent volontiers de modifier le texte ou sa traduction. Anne Delbée est d’un autre alliage, elle refuserait d’amender le texte, car elle pourchasse autre chose. Elle a une foi. Elle croit que l’oeuvre connaît et renferme une façon académique et dogmatique de la produire, qu’il existe une bonne façon de mettre en scène qu’il nous incombe de découvrir, une crypto- façon cléricale entre tradition grecque et chrétienne. Elle signe dans ce lieu magique chargé d’histoire une mise en scène d’ecclésiastique du théâtre que son talent et l’implication de sa troupe font échapper au kitsch pour lui pourvoir l’attribut suprême : une cardinalité anthologique.
Andromaque entre tête haute, fière au son d’une musique symphonique. Elle se précipite sur un tas de vêtements jetés au sol. Le visage enfoncé dans ce relief de catastrophe, elle pleure Hector son mari mort. La suite se résume à une phrase : Oreste aime Hermione, qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque. Celle-ci doit se marier avec Pyrrhus afin de mettre son fils à l’abri tout en restant fidèle au souvenir de son mari, Hector. Or l’assassin d’Hector durant la guerre de Troie fut Achille le père de Pyrrhus . On l’aura compris, l’air est à la tragédie et Anne Delbée qui connaît son Racine par cœur attrape cette tragédie, la transmet en partage à sa fille Émilie (merveilleuse Andromaque) et les deux, la mère et sa fille, sosies restituent dans un geste mystique, un recueillement de croyantes la pièce de Racine dans un décrochement du temps et de l’espace. Les comédiens ne quittent pas le plateau, ils clament les alexandrins avec une musique désormais inusitée, les costumes sont des drapés de cérémonie. Et la nuit qui tombe lentement sur la cour des grandes écuries. Nous sommes dans un ailleurs hypnotique et vivons une expérience unique et sidérante construite par des réputées veilles recettes qui font loi et histoire.
Surtout ne pas rater cette Andromaque de légende de Anne Delbée et de sa fille Émilie, car l’histoire dont celle du théâtre, ne s’écrit qu’à la faveur de ces belles transmissions.
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