C'est l'histoire d'une rencontre improbable. Encore!
Au cœur même d’une existence routinière et âpre, pleine du vacarme assourdissant d’une bretelle d’autoroute et de misère sociale, un chien qui parle (parce que c’est possible au théâtre), casse-cou et plutôt roublard, déboule dans la vie de Roger, portier désabusé d’un grand hôtel qui vit seul dans sa caravane depuis que les services sociaux lui ont retiré la garde de sa fille.
Ensemble, avec beaucoup de lucidité, d’insolence et de fantaisie, ils regardent le monde, s’éprouvent méchamment et s’apprivoisent, et surtout retrouvent, même en plein marasme, l’urgence d’exister.
Mais au fond, l’histoire, on s’en fiche. Elle n’est qu’un prétexte.
À travers cette parabole quelque peu foutraque et déglinguée, Jean-Marie Piemme retrouve la force satirique salutaire d’un théâtre qui révèle la véritable nature des rapports de force et démonte les mécanismes des pouvoirs qui règlent notre quotidien.
Dans une société en panne, il fait entendre une parole désacralisante et jubilatoire qui se joue joyeusement du mensonge des gouvernants, de l’hypocrisie et du cynisme des puissants, des logiques déshumanisées des administrations...
Ce théâtre-là organise la rébellion de ceux qui subissent.
Il change la vie et venge symboliquement.
Une revanche par le théâtre sur les injustices et les désordres du réel.
C’est un préalable.
Parce que nous ne pouvons pas rester là sans rien faire.
Et que parfois « mordre quelqu’un peut avoir parfois du bon » !
Au moins celui de nous faire sortir de nos torpeurs, de réaffirmer notre urgence de vivre et notre nécessité d’exister par le combat.
À condition bien sûr de réveiller le chien qui sommeille en nous...
Sébastien Bournac metteur en scène
Note d’intention (le temps du chien)
« J’écris un théâtre de l’attaque et de la riposte. » (J.-M. Piemme)
Ce Dialogue d’un chien avec son maître sur la nécessité de mordre ses amis de Jean-Marie Piemme est, sur un mode quasi farcesque, un jeu théâtral virtuose, mais j’y lis surtout une virulente satire sociale et politique de notre monde.
Derrière le prétexte d’une fable vengeresse et quelque peu « aristophanesque », tous les sujets de l’actualité y sont passés en revue sous le regard acerbe et amusé de l’auteur comique, tel un jongleur ou un bateleur : les dérives et manquements de la classe politique, le cynisme et le mensonge, la sécurité, le consumérisme, l’exploitation, l’injustice sociale, l’opulence des uns qui s’enivrent et la précarité et la vulnérabilité des autres...
Je choisis de le porter à la scène parce que j’ai le sentiment que ce texte permet de se reconnecter drôlement et puissamment à la charge critique de la parole sur une scène.
S’il est une nécessité et un sens que je vois aujourd’hui à la représentation théâtrale, ils passent par cette impérieuse exigence de mettre le théâtre en correspondance avec la réalité, avec son temps, avec la vie politique, sociale, économique, morale de son temps.
« La vie me choque, sinon pourquoi écrire ? », affirme de façon très stimulante Jean-Marie Piemme. L’écriture est pour lui une revanche sur le réel.
Je ne crois pas au fond que mon activité de metteur en scène se soit jamais située ailleurs que dans cette attitude de réaction.
Pourtant j’éprouve aujourd’hui le besoin de rendre cet engagement plus explicite. Face aux maux actuels, nous ne pouvons pas rester là à ne rien faire.
Soyons des nageurs, pas des noyés !
Choisir un texte pour le mettre en scène, c’est le reconnaître.
Faire face lucidement à la nécessité, au besoin que l’on en a.
Se faire mordre par lui en quelque sorte... et l’aimer pour cela.
Espérer aussi que sa joyeuse rage soit contagieuse et salutaire pour tous.
Je veux donc pister ici l’odeur animale de l’écriture de Piemme pour l’injecter dans notre création. Je ressens le vif besoin d’aller puiser dans l’énergie canine qui sous-tend la joute oratoire paradoxale entre les deux figures théâtrales « bord cadre » de la pièce : cet HOMME qui n’en est plus tout à fait un, tant il est le naufragé de sa propre vie, et ce CHIEN qui est plus qu’un CHIEN, tant son éloquence, ses ressources dialectiques et sa roublarde débrouillardise le distingue.
Pour enfiler ces costumes-là qui ne sont pas n’importe lesquels, nous mettrons face à face sur scène deux acteurs, Ismaël Ruggiero et Régis Goudot. Et parce que je préfère ici l’idée d’un trio au duo clownesque attendu, j’inviterai Sébastien Gisbert, jeune percussionniste talentueux, à créer en direct sur scène l’environnement sonore et musical du spectacle et à perturber les situations.
Avec une scénographie que je voudrais la plus autonome possible et qui se souviendra autant de l’esprit du tréteau et de la farce (ici néanmoins revisité) que de celui du ring et du match de boxe, je n’oublierai pas qu’il m’importe beaucoup que les créations de la compagnie Tabula Rasa voyagent le plus librement possible dans les théâtres et hors des théâtres.
Aller à la rencontre des publics et aussi faire du théâtre pour le non public.
Que le théâtre se nourrisse des forces du non-théâtre, cela aussi reste pour nous un désir intempestif et militant : c’est la survie de notre art qui est en jeu.
Partager dans le présent percussif de la représentation avec les spectateurs cette nécessité que le théâtre doive nous remettre en jeu dans notre urgence de vivre.
Je relis ces mots de Dario Fo qui me semblent fort synthétiquement et avec beaucoup d’acuité résumer l’alternative face à laquelle nous nous trouvons : « Je crois sérieusement, et je le répète chaque fois que je m’adresse à des jeunes gens de théâtre qui me demandent comment aborder l’art du spectacle, que le point clé de tout auteur, décorateur, metteur en scène ou acteur doit se retrouver dans son engagement moral et politique. En somme, tout homme de culture doit choisir de quel côté il se situe : recherche-t-il exclusivement l’hédonisme, le style poétique et raffiné, ou est-il un homme de son temps et se laisse-t-il impliquer dans les questions sociales et civiques, en allant même jusqu’à accepter de se salir les mains pour contribuer à un changement positif de la vie ? » (Milan, 2 février 2007).
Je voudrais à travers le projet de cette mise en scène de Dialogue d’un chien avec son maître sur la nécessité de mordre ses amis que ma réponse soit claire.
« Get up, stand up, don’t give up the fight ! »
Sébastien Bournac
« Les nageurs, pas les noyés »
« Pour situer rapidement mon univers d’écriture, je dirais que dans la vie l’ordinaire m’intéresse plus que l’extraordinaire. Il se passe beaucoup de choses exceptionnelles dans le monde, mais je ne peux vraiment écrire que sur ce que je traverse, sur ce que mon corps-cerveau éprouve. Le sujet d’une œuvre choisit l’auteur autant que l’auteur le choisit, en tout cas en ce qui me concerne. Je ne fais pas preuve d’un grand volontarisme. Je vais là où ce que je suis, ce que je sens, me poussent. Dans l’ordinaire de la vie, ce n’est pourtant pas la dimension répétitive que je retiens. Le train-train, l’épuisement journalier, la routine, le poids de l’habitude, les régularités ont moins d’importance que les dynamiques, les mouvements, les transformations, l’urgence d’exister. Exister dans le monde d’aujourd’hui, dans le monde ordinaire d’aujourd’hui, dans les contradictions d’aujourd’hui, dans l’aujourd’hui de la marchandise et de l’effacement occidental. Mes textes retracent fréquemment les trajets de gens qui affirment, cherchent, défendent leur existence. J’ai écrit une pièce courte qui s’appelle Les nageurs. Les « nageurs », pas les « noyés ». La pièce se termine ainsi : « Un bateau fait naufrage. Je vois des hommes qui nagent. Entre deux vagues, ces nageurs redressent la tête. Ils jettent au loin un regard pour apercevoir le rivage d’une île qui les sauvera. » Je peux généraliser cette image, elle joue un rôle séminal dans mes textes.
Je crois effectivement que le bateau de l’aujourd’hui tel qu’il va tangue dangereusement, l’horizon est flou, ça et là l’ouragan menace. Et là où l’on voit mal devant soi, on imagine facilement le pire. La vie de chacun et le temps historique n’avancent pas au même rythme. Une existence individuelle n’occupe pas le centre de l’univers, elle est pourtant au centre d’elle-même, et malgré la certitude absolue de la mort, chacun se lève le matin en espérant vivre encore le soir. Je veux rester au plus près de ces contradictions. Ne pas tomber dans un aveuglement qui refuserait de croire qu’« ainsi va le monde et il ne va pas bien ». Ne pas tomber non plus dans une célébration angoissée de la catastrophe qui vient. La catastrophe viendra, elle vient toujours. Aujourd’hui non seulement nous savons que les civilisations sont mortelles, mais que la vie de l’espèce sur la planète l’est aussi. Malgré tout, on rit, on pleure, on aime, on hait, on écrit, on joue, on lit. Sur fond de catastrophe personnelle et sociétale, on cherche l’existence. »
Jean-Marie Piemme
L’écriture comme théâtre (Quatre conférences publiques données dans le cadre de la Chaire de Poétique de l’université de Louvain-La-Neuve), Éditions Lansman, 2012.
Distribution
- Auteur : Jean-Marie Piemme
- Mise en scène, scénographie : Sébastien Bournac
- Décor et régie générale : Gilles Montaudié
- Costumes et masque : Noémie Le Tily
- Comédien : Ismaël Ruggiero
- Comédien : Régis Goudot
- Espace sonore : Sébastien Gisbert
- Lumière : Philippe Ferreira
Production : compagnie Tabula Rasa.
Coproduction : Scène Nationale d’Albi, Théâtre d’Aurillac, Scène conventionnée.
Accueils en résidence dans le cadre du dispositif FABER de la Région Midi-Pyrénées : SMAD – Cap’ Découverte / Maison de la Musique (Le Garric) ; CIRCa - Pôle National des Arts du Cirque (Auch) ; L’Usine - Scène conventionnée pour les arts dans l’espace public (Tournefeuille / Toulouse Métropole).
Avec le soutien du Théâtre Le Vent des Signes.
Presse
Rien de tel pour commencer l'année qu'une pièce qui a du mordant… Dialogues truffés d'insolence, mais aussi de frustration, colère, roublardise, renoncement, rage, insoutenable poids des choses qui peut aussi se transformer en légèreté : c'est assaisonné, servi brûlant et il y a en a pour tous les goûts."
Nicole Clodi - La Dépêche du Midi ( janvier 2017)
Dans Dialogue d'un chien avec son maître sur la nécessité de mordre ses amis, le metteur en scène, Sébastien Bournac s'en donne à cœur joie. À coup d'insolence, de satire et de fantaisie, il croque à pleines dents le mensonge, de ceux qui nous gouvernent, l'hypocrisie, le cynisme des puissants, les administrations kafkaïennes...
Eric Dourel - 20 minutes (janvier 2017)
Une mise en scène rock’n’roll, une forme dramaturgique classique avec séquences dialoguées et apartés au public, une scénographie hétéroclite où se disputent la chaleur lumineuse d’un lustre baroque et la froideur d’un néon contemporain : l’ensemble, il est vrai, est joyeusement foutraque mais tourné vers un théâtre populaire qui entend désacraliser le pouvoir et les institutions.
Sarah Autheserre - Intramuros (janvier 2017)
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