Note d'intention à la mise en scène : Clément Poirée
Twelfth Night : Or, what you will.
«Or what you will» ? «Ou ce que vous désirez»
Qu’est-ce que désirent les personnages de Shakespeare ? L’idée de l’amour « the spirit of love » dit Orsino. L’amour pour une image, l’amour pour un être disparu, l’amour pour la bouteille... Ce ne sont que des amours mortes. La Nuit des Rois c’est d’abord le portrait amer d’un monde sans relation où chacun se nour- rit d’un amour sans objet. Cet amour « pur » se referme comme une boucle : Le serpent se mord la queue ; les désirs se dévorent eux- mêmes. C’est une boucle morbide.
Orsino et Olivia vivent cloîtrés, bien défendus contre le réel. Un peu comme dans un conte, ils sont ensevelis avec leur suite dans le sommeil. Leurs regards sont tournés à l’intérieur et ils frôlent le réel comme des somnambules. Ils vivent dans leur nuit. La nuit des Rois.
Dans cette nuit, on croise des âmes malades : Orsino, malade de désir, un désir impatient, cruel, sans autre objet que lui-même donc ; Olivia malade d’anamour, qui prétend échapper à la nature et la vie ; Malvolio malade d’amour propre ; Tobie noyé dans l’alcool. Soudain, survient l’objet du désir – juvénile, à la fois homme et femme, Viola et Sébastien – non plus un objet imaginaire, fantasmagorique, mais bien réel celui-là.
Ce qui est si singulier dans la pièce et dans la pensée de Shakespeare, c’est que c’est l’objet qui parcourt, comme à rebours, le chemin vers le désir. Et pour parvenir à déchirer le voile de l’indépassable solitude des êtres, il faut le masque. Il faut la transgression, le renversement. Il faut le carnaval. Viola se grime en Cesario, et c’est sous ce déguisement qu’elle séduit involontairement Olivia ; c’est en montant une petite comédie que Maria attire les regards de Sir Tobie et finalement son amour ; Le fou se déguise en curé pour parler avec Malvolio, rendu fou...
L’objet du désir peut alors s’incarner. Il n’est jamais conforme : le pirate Antonio aime le jeune Sébastien, Olivia s’amourache d’une jeune fille grimée en homme, la jeune Maria aime le vieil alcoolique Tobie...
Ce sont des amours désaccordés, au-delà des genres et des âges. Et c’est ce qui me touche dans la pièce, c’est une musique jouée sur des instruments dissonants, et pourtant elle est si belle. Le désir véritable n’a pas de loi. Il est impossible donc toujours paradoxal, transcendant même.
J’aimerais faire du plateau « le périscope de l’âme » comme le décrit Kafka. Un genre de grand dortoir pris dans un rayon de lune qui s’anime dans la nuit, comme dans un rêve, peuplé d’êtres mélancoliques et drôles...Notre Illyrie, je la situe au bout de la ligne du transsibériens. Dans une demeure hors d’âge, comme prise dans la glace. Des lits séparés par des paravents, des meubles recouverts de draps, un piano désaccordé...
La musique a une place essentielle dans La Nuit des Rois. La pièce débute sur ces vers : Si l’amour se nourrit de musique, jouez donc, Donnez m’en à l’excès, pour qu’ainsi rassasié Mon appétit s’écœure, étouffe et enfin meurt. Elle se conclut sur une chanson du fou. Je veux travailler avec des comédiens musiciens qui donnent vie à cette symphonie intérieure.
La première étape de notre travail sera d’élaborer notre propre traduction ou plus exactement notre version scénique. C’est une démarche nécessaire à mes yeux. Elle nous permet de sortir la pièce de l’Histoire littéraire où on l’enferme et raviver sa véritable nature : une écriture de plateau.
« Or what you will » ? « Ou ce que vous voudrez » pourvu que ça marche. Pourvu que cela nous indique le chemin vers le jour et la vie. Pourvu que cela nous permette d’échapper à la nuit pleine de rêves, de fantasmes et d’idéaux pour se coltiner le réel à la fois amer et jubilatoire.
« Couronner le présent et douter du reste » dit Shakespeare dans les Sonnets.
Distribution
- Mise en scène : Clément Poirée
- Texte français : Jude Lucas
- Viola (Césario) / Sébastien : Suzanne Aubert
- Sir Andrew : Moustafa Benaïbout
- Maria : Camille Bernon
- Feste (le fou) / Le Capitaine : Bruno Blairet
- Fabien / Antonio / Curio : Julien Campani
- Sir Toby : Eddie Chignara
- Orsino (le Comte) : Matthieu Marie
- Malvolio : Laurent Ménoret
- Olivia (la Comtesse) : Claire Sermonne
- Scénographie : Erwan Creff
- Costumes assistée de Camille Lamy : Hanna Sjodin
- Lumière : Kevin Briard
- Musique : Stéphanie Gibert
- Maquillage et coiffure : Pauline Bry
- Collaboration artistique : Sacha Todorov
Durée : 2h30
Production : Compagnie Hypermobile Co-production : Théâtre des Quartiers d’Ivry ; Les Productions Somnambules
Avec la participation du Jeune Théâtre National
Presse
« Avec justesse, modestie et une grâce infinie, Poirée et sa troupe d’amoureux transis réenchantent nos nuits d’hiver meurtries. » Philippe Chevilley - Les Echos, janv. 2015
Une version énergisante de la comédie de Shakespeare rythmée par Clément Poirée avec une très belle troupe endiablée.
Commencer l’année 2015 par une comédie shakespearienne enlevée est une excellente chose. La pièce de l’auteur élisabéthain se prête à toutes les folies mais il faut pour cela une distribution qui se lâche. Clément Poirée a constitué une troupe homogène emmenée par des comédiens composant des personnages croquignolets. Il y a les deux guignols avinés Sir Toby et Sir Andrew campés par Eddie Chignara et Moustafa Benaïbout (qui s’est fait un look craquant à la Johhny Deep). Malvolio, l’intendant d’Olivia qui va sombrer dans la folie (formidable numéro d’acteur de Laurent Menoret) ou encore le clown Feste (Bruno Blairet). Tous ces personnages donnent le tempo à la pièce. Dans cette version de la comédie de Shakespeare il n’y a pas de rôles secondaires.
Au cœur de la pièce il y a bien évidemment la comtesse Olivia réfugiée dans le deuil après la mort de son frère. Claire Sermonne est géniale car elle fait évoluer avec finesse le personnage qui bascule petit à petit dans le désir et l’appétit sexuel pour Césario rescapé d’une tempête. Le double rôle des jumeaux Viola (Césario)/ Sébastien est interprété avec brio par Suzanne Aubert.
Dans un décor aux couleurs sépia qui représente un dortoir desquels sortent des lits à baldaquin, Clément Poirée emprunte les codes burlesques du cinéma muet. La scène de la folie de Malvolio est un grand moment. Le sexe dressé dans ses bas jaunes et ses jarretières Laurent Menoret est irrésistible. Cette pièce est véritablement la pièce de tous les désirs et de tous les libertés sexuelles. On rappelle qu’elle a été écrite au début du 17ème siècle ! Les liaisons amoureux sont libres. Le pirate Antonio aime le jumeau Sébastien et la comtesse tombe amoureuse d’une jeune fille androgyne travestie ! C’est la nuit des folles ! Et l’on s’amuse toute au long du spectacle.
Stéphane Capron – www.sceneweb.fr
Une comédie échevelée et étonnamment transgressive
Shakespeare se posa le premier la question du genre. En témoigne cette Nuit des rois (1599) mise en scène par Clément Poirée entre mélancolie et grotesque, rêverie élégiaque et burlesque. Dans un espace qui tient à la fois du dortoir de pensionnat d’un XIXe siècle romantique et d’un asile kafkaïen pour aliénés de l’Empire austro-hongrois, un duc Orsino et une comtesse Olivia sont enfermés, chacun, dans leur solitude, leur deuil (un frère adoré pour elle) et leur rêve amoureux contrarié (il l’aime, elle préfère son frère mort). Surgit l’intrépide Viola (la délicieuse Suzanne Aubert), déguisée en garçon sous le nom de Cesario, parce qu’elle vient de perdre son jumeau, et redoute d’être en danger sous ses habits de fille. Viola- Cesario se met au service d’Orsino, en tombe amoureuse. Celui-ci l’ayant prié d’intercéder pour lui auprès d’Olivia, le beau travesti réveille chez l’inconsolable l’image du frère défunt. Pulsion incestueuse ? Dans cette comédie échevelée et étonnamment transgressive, Shakespeare fait exploser les limites dans le plaisir et la gaieté. Et si après la tentation de l’inceste, puis de l’homosexualité, hommes et femmes finissent par aimer sagement qui il faut, les labyrinthes du désir restent sombres. A peine explicités par une langue folle et drôle, elle aussi chaotique, mais joliment mise en bouche par les comédiens de la troupe. Musique et sons, verbe et notes règnent étrangement dans cette tragi-comédie où Clément Poirée multiplie aussi les clins d’oeil potaches. L’inquiétude n’en est que plus forte avec ces vraies cruautés distillées par de vrais méchants dans la pièce… Shakespeare ne donne ni leçon, ni solution. Il complexifie, obscurcit. Pour éclairer des opacités qu’on ne soupçonnait pas avant lui.
Fabienne Pascaud - Télérama
Vive cette nuit!
Au-delà du travestissement et des duperies qui caractérisent la pièce, Shakespeare met aussi à l’honneur le thème du désir. Ce désir, au coeur des échanges, aveugle les uns et révèle les autres. Clément Poirée, qui s’est attelé à la mise en scène de cette comédie, livre un travail soigné et enthousiasmant.
Pour tenir la cadence de la partition et donner à voir tout l’humour de l’auteur, il fallait des comédiens à la hauteur. La troupe réunie par Clément Poirée l’est à n’en pas douter. Ici, la drôlerie des situations et des personnages est exploitée à plein par leurs talents respectifs. Il faudrait tous les citer, tant ils nous régalent… Par manque de place, on insistera donc sur les compositions de Suzanne Aubert, dans la double partition des jumeaux, et de Camille Bernon, pétillante suivante. Ces messieurs ne sont pas en reste : Bruno Blairet est un irrésistible fou ; Laurent Ménoret, un impayable Malvolio. Mais notre coup de coeur est une fois encore pour Eddie Chignara, absolument génial en Sir Toby. Vive cette nuit! Vive ce roi!
Dimitri Denorme - Le Pariscope
Courons vite nous réjouir d’un tel sommeil !
Ils sont tous fous ! Les uns par métier, tel le bouffon patenté, d’autres par imbibation répétée, tels l’oncle et ses joyeux drilles autour de la Comtesse. D’autres encore, Comte, Olivia ou l’Intendant Malvolio, sont fous d’amour, du moins persistent-ils à se repaître de cette fausseté. Le jumeau court après sa jumelle, la soubrette après sa vengeance ou le désir illicite de l’oncle. Même omniprésent, l’amour n’a pas d’objet tangible. Tout n’étant donc que farce plus ou moins macabre ou vengeresse, le parti-pris de cette mise en scène est de conférer au fou princier un rôle central, autour duquel les personnages sont pris dans un réseau de cruautés et d’impatiences mortifères.
La mise en espace donne à voir toute l’ambiguïté des situations, poursuites et violences, gémélléité et trouble sexualité. Les scènes oscillent entre le vide du plateau sur lequel s’élancent, roulent et tanguent les joyeux pochards, et les tentures fluctuantes qui se muent en rideaux de lits, voiles de bateau en perdition, ombres chinoises des unions finales. Impossible de résister à cette folie pleine de clins d’oeil vers une actualité contemporaine et, si on prend quelques libertés avec la lettre pointilleuse du texte, Shakespeare y retrouverait à coup sûr l’esprit de l’invraisemblable fiction qui était son propos. Si c’est bien cela rêver, laissez-moi dormir toujours.
Annick Drogou - Spectacle sélection
Un spectacle où le spectateur ne boudera pas son plaisir
Formé à la bonne école, collaborateur artistique et assistant de Philippe Adrien, Clément Poirée parvient à syncrétiser le mélange des genres qui s’imbriquent sans incohérence de manière naturelle et assure une direction d’acteur maîtrisée pour assurer la synergie d’un spectacle choral dispensé par une troupe émérite composée notamment de "fidèles" avec une distribution qui s’avère judicieuse en terme d’emploi. Suzanne Aubert a le physique gracile idéal pour incarner la juvénile Viola, Matthieu Marie est parfait dans le rôle du narcissique et maniéré amoureux de l’amour comme Claire Sermonne délicieusement drôle en (auto)frustrée d’amour et Julien Campani assure efficacement plusieurs rôles secondaires. Les scènes cocasses et jubilatoires, assorties d’anachronismes qui réjouissent toujours le public,donnent l’occasion de beaux numéros d’acteur, dus à l’écriture de plateau, péché véniel au regard de la tenue de l’ensemble, avec en tête de peloton, Laurent Ménoret dans le rôle du puritain Malvolio dont le tempérament libidineux se déchaîne sur l’air de la chanson-tube "Ti amo". Un beau quatuor mène la danse : Camille Bernon, au jeu expressif, qui campe la domestique machiavélique, Bruno Blairet, désopilant en bouffon clairvoyant et mélancolique et la formidable paire de pieds nickelés formée par Moustafa Benaïbout, irrésistible en prétendant escroqué et dévoyé par Eddie Chignara, truculent en ivrogne invétéré, qui revisite le duo de clowns à la lumière du comique troupier et de la folie cartoonesque réunis.
Martine Piazzon - Froggydelight.com
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