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Le Devin du villagede Jean-Jacques Rousseau

"Ô homme, de quelque contrée que tu sois, quelles que soient tes opinions, écoute, voici ton histoire telle que j’ai cru la lire, non dans les Livres de tes semblables qui sont menteurs, mais dans la Nature qui ne ment jamais. » Discours sur l’origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1755) 

Note d'intention

Faisons le pari que cette bluette, dont l’histoire parait insignifiante à la perfection (ce qui est un des charmes de la Pastorale) contienne une pensée. Une pensée contenue dans la sensibilité qu’elle réclame et convoque chez nous, spectateurs et auditeurs.

Tirons-en les fils, introduisons quelques textes de Rousseau, des textes directement politiques et des textes plus "intimes", non pas pour alourdir les ailes de ce papillon si plaisant, mais pour l’éclairer, le révéler, et comprendre ce que l’œuvre de Rousseau a de profondément révolutionnaire, même dans cette courte pastorale qu’est Le Devin du village.

Comprendre que le choix de ce motif, que la régularité de cette musique, si badine et si agréable, ne sont pas l’œuvre d’un philosophe mauvais musicien, mais que – chose rare dans l’histoire – elle soit l’œuvre d’un musicien-philosophe, et qu’il nous livre là quelque chose au-delà de la bonne application, au-delà du goût de l’époque : N’est-ce pas le premier opéra où le même homme écrit le texte et la musique ? Est-ce un hasard ?

Rousseau tente peut-être ici une transversalité, une recherche qui n’est pas celle du bon goût, ni seulement du Beau, mais davantage une continuité dans son Œuvre : une réforme totale de l’homme, à qui il donne liberté, le dressant face à ce scandale absolu et perpétuellement passé sous silence qu’est l’inégalité. Et qu’il a tenté cela en 1752, devant le Roi et la Reine, 37 ans avant la Révolution… Gardons en tête qu’en hommage à ce père spirituel, en 1794, la Convention fera transférer sa dépouille au Panthéon.

Sachant l’importance primordiale que Rousseau accorde à la Nature, ce petit marivaudage peut s’entendre bien au-delà des affaires de cœur frivoles d’un berger et d’une bergère, et contient un projet, une vision : une pensée. Il faudrait davantage percevoir cet opéra comme une véritable plongée dans l’imaginaire d’un des philosophes les plus importants de l’époque moderne.

Un attentat à la cour, maquillé sous des airs doucereux ; c’est comme cela que nous voudrions représenter cet intermède. Tout en délicate retenue, avec une violence sourde qui parait affleurer à chaque instant : une tension incroyable devrait nous sauter au visage tellement toute cette histoire est faussement évidente…

Finalement, prenons cette œuvre réellement au sérieux. Jouons-la avec toute la superficialité qu’elle requiert, amusons-nous, mais ne soyons pas dupes : la graine était semée, comme un coup de poignard en plein cœur de l’Ancien Régime.

Benjamin Moreau

Contexte de l'oeuvre : Rousseau et la musique

"Il y avait longtemps qu’il [Mussard] prétendait que, pour mon état, les eaux de Passy me seraient salutaires, et qu’il m’exhortait à les venir prendre chez lui. Pour me tirer un peu de l’urbaine cohue, je me rendis à la fin, et je fus passer à Passy huit à dix jours, qui me firent plus de bien parce que j’étais à la campagne que parce que j’y prenais les eaux. Mussard jouait du violoncelle et aimait passionnément la musique italienne. Un soir, nous en parlâmes beaucoup avant de nous coucher, et surtout des opere buffe que nous avions vus l’un et l’autre en Italie, et dont nous étions tous deux transportés. La nuit, ne dormant pas, j’allais rêver comment on pourrait faire pour donner en France l’idée d’un drame de ce genre. Le matin, en me promenant et prenant les eaux, je fis quelques manières de vers très à la hâte, et j’y adaptai des chants qui me revinrent en les faisant. Je barbouillai le tout dans une espèce de salon voûté qui était au haut du jardin ; et au thé je ne pus m’empêcher de montrer ces vers à Mussard et à mademoiselle Duvernois, sa gouvernante, qui était en vérité une très bonne et aimable fille. Les trois morceaux que j’avais esquissés étaient le premier monologue, J’ai perdu mon serviteur ; l’air du Devin, L’amour croît s’il s’inquiète ; et le dernier duo, A jamais, Colin, je t’engage, etc. J’imaginais si peu que cela valut la peine d’être suivi, que, sans les applaudissements et les encouragements de l’un et de l’autre, j’allais jeter au feu mes chiffons et n’y plus penser, comme j’ai fait tant de fois pour des choses du moins aussi bonnes ; mais ils m’excitèrent si bien qu’en six jours mon drame fut écrit, à quelques vers près, et toute ma musique esquissée, tellement que je n’eus plus à faire à Paris qu’un peu de récitatif et tout le remplissage ; et j’achevai le tout avec une telle rapidité, qu’en trois semaines mes scènes furent mises au net et en état d’être représentées."
Les Confessions, livre VIII (1765-1770)

Le Devin du village est le premier succès de Jean-Jacques Rousseau dans le domaine de l’opéra. Intermède musical en un acte, l’œuvre est composée en trois semaines au printemps de l’année 1752, sur un livret de Rousseau lui-même, puis créée à la cour de Fontainebleau le 18 octobre 1752, en présence de Louis XV et de Mme de Pompadour. Rousseau applique les théories de la musique italienne après avoir découvert cette musique lors d’un séjour à Venir comme secrétaire de l’Ambassadeur Monsieur de Montaigu. Il compose une mélodie simple pour mettre en valeur les paroles, où l’harmonie suit la mélodie. S’inspirant de l’opera buffa italien, il s’écarte des thèmes antiques et mythologiques qui fournissent habituellement l’intrigue des opéras français pour mettre en scène les amours d’un berger et d’une bergère, Colin et Colette, protégées par la sagesse du devin de leur village. L’œuvre connaît un certain succès, restant au répertoire de l’Académie royale de musique pendant près de quatre-vingt ans. Quant au livret, il est immédiatement parodié par Guerville et les Favart dans Les Amours de Bastien et Bastienne (1753), qui sera traduit en allemand en 1768 pour devenir le livret de Bastien et Bastienne, opéra de Mozart. Mais, au moment où Le Devin du Village connaissait le succès et les faveurs de la Cour et du public, ce même public parisien, amateur d'opéra, n'allait pas tarder à se partager en deux clans: les partisans de l'opéra italien s'opposant à ceux de l'opéra français. Les amateurs de l'opéra français (admirateurs de Rameau, en premier lieu) se groupaient alors au théâtre devant la loge du Roi (« le coin du Roi »), tandis que les tenants de la Musique italienne, passant pour plus moderne, plus légère et charmante, occupaient le devant de la loge de la Reine (« le coin de la Reine »), d'où le nom de « Guerre des Coins » qui fut donné à ce qui allait devenir « la Querelle des Bouffons ». Le véritable élément déclencheur de cette célèbre querelle fut l'exécution à l'Opéra, le 1er août 1752, par la troupe des « Bouffons italiens », d'un petit intermède de Pergolèse, La Serva Padrona. Le succès fut éclatant, le public prit littéralement feu et flammes, les uns pour, les autres contre ce style nouveau, venu d'Italie. Les pamphlets, les libelles se multiplient, parfois signés de noms illustres (Grimm, Diderot), mais c'est Jean-Jacques Rousseau qui met le feu aux poudres avec sa célèbre Lettre sur la Musique française parue en janvier 1753. Voulant prouver l'inanité de la musique française, Rousseau, après avoir condamné sans appel l'écriture fuguée « que l'oreille ne peut souffrir » comme « des restes de barbarie », entreprend une étude (bien superficielle d'ailleurs) du grand monologue d'Armide, extrait de la célèbre tragédie lyrique de Lully. Après cet examen, il termine ainsi : « Je crois avoir fait voir qu'il n'y a ni mesure, ni mélodie dans la musique française, parce que la langue n'en est pas susceptible ; que le chant français n'est qu'un aboiement continuel, insupportable à toute oreille non prévenue, que l’harmonie en est brute, sans expression, et, surtout un remplissage d’écolier ; que les airs français ne sont pas des airs ; que le récitatif français n'est point du récitatif. D'où je conclus que les Français n'ont point de musique et n'en peuvent avoir, ou que si jamais ils en ont une, ce sera tant pis pour eux. »

Cette analyse, violente et peu fondée d’autant que Rousseau écrivait également ses textes en français, souleva un tollé général de protestations. ». À l'Opéra l'acharnement contre lui prend une telle ampleur qu'on lui en interdit l'entrée, même pour les représentations du Devin du Village (qui tient toujours l'affiche). Rousseau déclare qu'on veut l'assassiner, mais on se borna à le brûler en effigie.
[Sources – bnf.fr / Francine Maillard- leducation-musicale.com]

L'Œuvre et l'argument

La partition
Le Devin du Village est la seule œuvre de Rousseau gravée de son vivant. Précédée d’un avertissement de l’auteur, cette édition ne correspond pas à la version primitive, exécutée à Fontainebleau, qui ne comportait pas d’ouverture. De plus, les danses qui terminaient alors la représentation ne figurent pas dans cette version gravée de 1753. Pour les exécutions à l’Opéra, Rousseau composa donc une ouverture. En réalité, il remania à cet effet une Symphonie à cors de chasse exécutée au Concert Spirituel le 23 mai 1751, perdue depuis, mais dont les parties de cors et de flûte sont conservées dans le matériel d’orchestre de la Bibliothèque de l’Opéra.

La forme
Le Devin du Village est conçu à la manière des « Intermèdes » italiens dont la Serv a Padrona de Pergolèse servit de modèle à Rousseau : les sujets sont plus proches de la Nature, si chère à Rousseau ; des personnages simples, populaires voire campagnards, très éloignés des héros mythologiques et cérémonieux des opéras y interviennent.

Le livret
Le livret, rédigé par Rousseau, est en vers en ce qui concerne les airs, les ensembles vocaux, les chœurs et certains dialogues en récitatifs, alors que la plupart des récitatifs sont en prose. Ce livret fut traduit en néerlandais, suédois, allemand, anglais et russe ; c'est dire l'impact de cette œuvre dans toute l'Europe musicale. Les jeux de scènes y sont décrits de façon très détaillée.

L’argument
"Le théâtre représente d’un côté la maison du Devin; de l’autre, des arbres et des
fontaines; et dans le fond, un hameau."
Colette se plaint de l’infidélité de Colin et va trouver le devin du village pour connaître le sort de son amour. Elle apprend que la dame du lieu a su captiver le cœur de son berger par des présents. Le devin laisse espérer Colette qu’il saura le ramener à elle. Il fait ensuite entendre à Colin que sa bergère l’a quitté pour suivre un monsieur de la ville. Colin n’en croit rien et revoit sa maîtresse plus amoureuse que jamais.

Éléments de la partition
Les récitatifs : Les récitatifs ont beaucoup d'importance dans l’ensemble de l’œuvre, tantôt comme une conversation en prose, tantôt sous forme de réparties, en vers ; ils ont toujours un rôle expressif et sont accompagnés soit par l’orchestre, soit par la basse continue.
Les airs : très mélodiques, ils sont simples, ayant souvent l’aspect de chansons populaires. Ici peu ou pas de virtuosité vocale ni de grands éclats chantés. Ils sont, ainsi que le souhaitait Rousseau, le reflet de « l'accent de la nature ». Dans un but expressif, ils sont parfois entrecoupés de passages instrumentaux ou de récitatifs.
[Sources – Wikipedia / Francine Maillard- leducation-musicale.com]

Scénographie

La scénographie du spectacle sera conçue comme un théâtre de tréteaux ou de commedia dell’arte. Une toile peinte, une petite scène au pied de laquelle sont, d’un part les musiciens et de l’autre un espace de jeu pour les parties issues des textes de Rousseau. Cet configuration délimite ainsi une aire de jeu pour l’opéra et un autre espace pour la mise en perspective de ce divertissement.

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Biographie de Jean-Jacques Rousseau

Rousseau est un collaborateur de l’Encyclopédie et un philosophe majeur des Lumières françaises. Sa pensée embrasse des domaines variés : critique sociale, théorie politique, morale, théologie, autobiographie ; elle s’exprime dans de nombreux genres : discours, roman, théâtre, traité philosophique, confessions, sans oublier la composition musicale. La réflexion sur la liberté constitue l’unité de cette œuvre singulière et complexe : liberté originelle de l’homme à l’état de nature, liberté du solitaire abîmé dans la rêverie, liberté politique fondée sur le contrat. Quel que soit l’aspect considéré, il s’agit toujours de mettre au jour la liberté, de lutter contre ce qui en nie l’existence et en
empêche la compréhension. Rousseau a montré le lien étroit qui unit égalité et liberté. Il est, par sa sensibilité vive, son amour de la solitude et de la nature, un précurseur du romantisme ; il est aussi un remarquable théoricien de la république. Rousseau demeure toutefois une figure singulière et paradoxale. Philosophe des Lumières, il est incompris de ses pairs et hostile à des thématiques centrales à son époque. Il s’oppose à l’idée de progrès, méprise l’histoire, condamne le cosmopolitisme. Sa pensée présente elle-même de nombreux paradoxes : éloge de la solitude et du sens civique, éloge de la nature originelle et des vertus civilisatrices de la société du contrat. Famille Jean-Jacques Rousseau est né le 28 juin 1712 à Genève, petite république indépendante ; sa mère, fille d'un pasteur protestant, meurt à sa naissance ; son père est maître horloger. Il ne reçoit pas d'« éducation » à proprement parler ; c'est en autodidacte qu’il acquiert au fil des ans une très vaste culture. À trente ans, il s’installe à Paris, où il mène de front ses activités de musicien (composition, participation à l'actualité musicale et à ses querelles) et ses activités de philosophe (rédaction d'articles pour l'Encyclopédie). En 1750, le Discours sur les sciences et les arts connaît un succès éclatant et met son auteur à la mode ; en 1755, il publie le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes. Alors qu'il est admiré et reconnu, il s'isole, se brouille avec ses amis philosophes et quitte Paris pour la campagne ; c’est dans cette retraite qu’il rédige trois œuvres majeures : Julie ou la Nouvelle Héloïse (1761), Du contrat social (1762) et Émile ou De l’éducation (id.). Ces deux derniers ouvrages sont condamnés, au moment de leur parution, par le Parlement de Paris qui leur reproche des thèses outrageantes et en rupture avec l'époque ; un mandat d'arrêt est lancé contre Rousseau, qui est obligé de quitter la France durant plusieurs années. Rousseau, qui souffre d'un délire de persécution, consacre ses trois dernières œuvres à l'introspection et à l'écriture de soi : les Confessions (1765-1770), les Dialogues ou Rousseau juge de Jean-Jacques (1772-1776) et les Rêveries du promeneur solitaire (1776-1778). Il meurt le 2 juillet 1778 à Ermenonville, au nord de Paris ; l'île des Peupliers, où il est inhumé, devient un lieu de culte. Ses cendres sont transférées au Panthéon en 1794.
[Source – Larousse]

Distribution

Production ScénOgraph - Scène Conventionnée - Festival Figeac / Saint-Céré - Opéra-Éclaté
En collaboration avec les Monts du Reuil et L’ATELIER [Compagnie Théâtrale]

Représentations

Château de Montal
  • mercredi 01 août 2018 21h00
  • samedi 11 août 2018 21h00
Théâtre de l'Usine
  • mardi 07 août 2018 21h00
Auditorium de Cahors
  • jeudi 16 août 2018 21h00
Tarifs

pleinréduit - abonnés jeune / -18 ans
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Abonnement nominatif : Tarif réduit pour l’achat d’une place pour 4 spectacles
Tarif réduit : Demandeur d’emploi, groupe à partir de 10 personnes
Tarif jeune : Moins de 18 ans, étudiant de moins de 25 ans

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